Le 3 avril dernier, 109 médias du monde entier révélaient les résultats de leur enquête sur la plus grosse fuite de données : les Panama Papers. Les Panama Papers représentent 2,6 To de données — c’est énorme ! —. Lorsque le quotidien Süddeutsche Zeitung reçoit tous ces fichiers d’un informateur, il décide de demander de l’aide au consortium international des journalistes d’investigations. Cet organisme est chargé de mettre en relation des dizaines de médias d’enquêter et de travailler ensemble.
On fait un point sur les Panama Paper
Les fichiers révélés par le quotidien allemand mettent en évidence 214’488 sociétés offshores. Une société offshore est une société domiciliée dans un pays étranger où la réglementation et la fiscalité est très avantageuses comme le Panama ou encore Hong-Kong : taux d’imposition faible, voire nul, création simple de la société et la vérification de l’identité des créateurs est assez souple.
Il faut bien comprendre que ces sociétés offshores n’exercent pas de réelles activités dans ces paradis fiscaux. Pour la grande majorité, ce n’est qu’un simple compte bancaire. Ce qui est beau dans toute cette histoire c’est que la création d’une société offshore est totalement légale, mais son utilisation comme moyen de fraude est illégale. — Vous jouez sur les mots, Dolorès. —
Dans le cas des Panama Papers, le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca jouait le rôle d’intermédiaire en définissant le meilleur endroit pour créer la société offshore et surtout de dissimuler le réel créateur de cette structure — fictive —. La société fait alors appel à des prêtes-noms qui vont gérer tous les aspects administratifs de ces sociétés sous le compte du patron. De cette façon, le fraudeur peut effectuer toutes les opérations de la société en passant par le cabinet d’avocats qui va les effectuer sous l’identité du gérant.
La fuite des archives de Mossack Fonseca révèle de nombreuses personnalités : chefs d’État, artistes ou encore sportifs. Au milieu de cette foule de noms, nous retrouvons les noms de Gérard Autajon et Marcel Hermann.
Qui est Gérard Autajon ?
Gérard Autajon est un riche industriel français avec une fortune estimée à 130 millions d’euros qui occupe la 401e place du classement des plus grandes fortunes de France de Challenges. Gérard Autajon est à la tête d’une société de Montélimar qui porte le doux nom de « Autajon ». Avec trois sites et plus de 700 employés, la société est officiellement le premier employeur privé de la ville.
Avec plus de 3’500 collaborateurs en Europe et aux États-Unis et un CA dépassant 500 Millions d’Euros, le Groupe Autajon est l’un des principaux acteurs sur le marché du packaging et des étiquettes.
Il fabrique des étuis pliants, des étiquettes, des coffrets et des PLV, pour divers secteurs comme les Parfums & Cosmétiques, l’Industrie Pharmaceutique, les Vins & Spiritueux, ou encore les Chocolats-Cafés-Thés. De nombreux viticulteurs et négociants sont passés par cette société pour la réalisation et l’impression de leurs étiquettes.
Gérard ne fait pas que dans l’étiquette puisqu’il est aussi dans la liste des Panama Papers. En 2013, il crée deux sociétés-écrans basées à Honk-Kong appelées Forever United Limited et Noble Shining. Grâce à cette entourloupe fiscale, Gérard Autajon a pu dissimuler au Fisc une toute petite somme : 21,6 millions d’euros.
En 2013, cette microscopique somme d’argent quitte le compte suisse de Gérard Autajon pour rejoindre la HSBC à Honk-Kong pour le compte des sociétés-écrans. L’argent est alors transféré dans une banque aux Bahamas, puis rejoint les Pays-Bas pour enfin finir sur un compte au Luxembourg. Derrière ce montage, c’est le cabinet d’avocats Mossack Fonseca d’où provient la fuite des Panama Papers.
Ce qui est beau dans tout ça…
Quelques mois avant d’organiser ce montage « d’optimisation fiscale », Gérard Autajon ferme pour des raisons économiques l’usine Bopack qu’il possédait. Avec cette fermeture, Gérard Autajon a mis, dans l’indifférence générale, 37 salariés à la porte avec toutes les conséquences que cela implique pour les salariés et leurs familles.
L’élu écologiste au Sénat, Jean Desessard interrogeait alors le ministre du redressement productif de l’époque Arnaud Montebourg sur l’avenir de l’entreprise Bopack « dont les salariés devraient être licenciés prochainement alors que le groupe Autajon est bénéficiaire. » La conclusion de cet élu écologiste est la suivante : « Il est difficile de ne pas penser que la lente dégradation économique due à des locations abusives de machines non utilisées a été organisée par le groupe Autajon afin de provoquer la faillite de Bopack, qui était, avant son rachat, un concurrent des autres entreprises du groupe. Il s’agit certainement d’une manipulation ayant consisté à racheter une entreprise florissante pour la condamner afin que les autres entreprises du groupe conservent leur place sur le marché. »
Le syndicat Force Ouvrière, majoritaire chez Autajon, se sent trahi. Selon l’organisation, il y a toujours eu de la transparence et du dialogue dans l’entreprise. « On a rédigé une lettre ouverte pour demander une rencontre avec Gérard Autajon », détaille Arnaud Pichot, le délégué F.O. « Les salariés veulent des explications, en plus il pourrait y avoir des répercussions sur l’entreprise. » La direction et les syndicats viennent juste de boucler les négociations annuelles sur les salaires. Les employés ont accepté des efforts : leur prime de participation a été divisée par deux cette année.
Qui est Marcel Hermann ?
Marcel Hermann est un ancien expert-comptable qui s’est lancé en 1999 dans la viticulture en rachetant pour 700’000 € le domaine du Mas de la Barben, dans le Languedoc. En 2003, notre chevalier masqué ouvre le capital de son vignoble à European Wine Trading, puis de lui céder ses parts en 2006. Cette holding, gérée par un cabinet d’avocats, possède une société offshore aux îles Vierges britanniques nommée Kettman Portfolio Inc.
En 2013, Marcel Hermann a déclaré sous serment être le bénéficiaire économique de cette société offshore. Grâce à cela, il a investi, par l’intermédiaire d’un paradis fiscal, dans des actions d’une holding luxembourgeoise qui aurait investi dans son propre vignoble, le Mas de la Barben…
L’intérêt de cette manipulation fiscale permet à Marcel Hermann de récupérer via sa société offshore les dividendes de son propre vignoble, sans payer d’impôts dessus. Elle permettrait aussi de mettre de l’argent détenu à l’étranger dans le Mas de Barben sans passer par la case Fisc.
La deuxième possibilité, plus probable, est de réinjecter dans le Mas de la Barben de l’argent détenu à l’étranger. La société offshore Kettman a ouvert un compte bancaire alimenté, au fil des années, par plusieurs millions d’euros au profit d’European Wine Trading, sous la forme d’une ligne de crédit remboursable. Ces transferts pourraient avoir pour but de financer l’entrée d’European Wine Trading au capital du Mas de la Barben, puis son rachat complet en 2006.
La vente du vignoble à European Wine Trading a été pour Marcel Hermann le début de son succès. Avec le produit de la vente, il a pu acheter sa première clinique dans le sud de la France. Dix ans plus tard, son groupe Medipôle-Partenaires pèse plus d’un milliard d’euros. Grâce à cela, il a pu racheter en 2012 le Mas de la Barben.
Il faut bien conclure
Avant d’écrire cet article, et certainement avant que vous le lisiez, il aurait semblé improbable de voir aux côtés de Platini, Cahuzac, Balkany ou encore des proches de Marine et Jean-Marie Le Pen, des personnes liées au monde du vin. La liste complète des personnalités impliquées n’a pas encore été dévoilée, mais de nouvelles surprises peuvent encore surgir…
Jean-Nicolas Mouretin
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