Alors que le bon sens semblait pendre le dessus avec l’assouplissement de la loi Evin, on se rend aujourd’hui compte que le bon sens a ses limites. En effet, le lobby de la santé a gagné la bataille judiciaire qui l’opposait aux Côtes du Rhône.
Plutôt que d’allouer des moyens à la protection sociale et à l’apprentissage d’une consommation responsable, l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie — ANPAA — semble encore décidée à mener une guerre de prohibition contre tout et n’importe quoi…
A l’origine une affiche « Au goût de la vie »
En 2014, les Côtes du Rhône ont suivi l’exemple des vins de Bordeaux en annonçant le lancement d’une nouvelle campagne publicitaire en France. Tandis que les Bordeaux communiquaient sur « l’accessibilité » et la « diversité » de leurs vins, InterRhône a préféré l’image d’un ballon — de rouge —. « Le ballon est synonyme de liberté ; il permet de s’extraire, s’évader de son quotidien pour faire une pause » justifie l’interprofession rhodanienne.
Ce visuel dessiné représente un homme, sortant certainement d’une longue journée de travail puisqu’il est en costume, un attaché-case à la main. Pourtant, il porte un sourire aux lèvres. Pourquoi ? Certainement parce qu’il s’envole au-dessus d’une ville grise grâce à un ballon de baudruche rouge. Le slogan « Au goût de la vie » accompagne ce magnifique dessin, une signature « engageante et gustative » d’après l’inter-profession. Le « û » du slogan représente un verre de vin et rappelle le rouge du ballon de baudruche.
Grâce à cette affiche, l’InterRhône voulait miser de nouveau sur le rouge. L’objectif était de décomplexer le consommateur face à un vin qu’il connait bien souvent assez mal. En le « laissant parler de ses émotions. […] Il vit une expérience sensorielle et personnelle qui invite à la découverte et au partage, ceci dans la cadre d’une consommation responsable », commentait InterRhône. C’était aussi une manière de communiquer sur « l’état d’esprit des vignerons et négociants des Côtes du Rhône qui cultivent la simplicité, la convivialité et un certain goût pour la vie ».
Les débuts de la bataille de la prohibition
Comment une publicité dédiée au vin peut-être licite ou illicite ? La loi Evin, fixe le même cadre depuis 25 ans, comme si la consommation n’avait pas changé depuis 1991. Ainsi, la publicité doit se limiter à une présentation « objective et informative » du produit, du producteur ou du lieu de production en prenant soin de ne pas inciter à consommer. La notion d’incitation est devenue la baguette magique sortie sans cesse par l’ANPAA. La magie d’un mot aussi flou que celui d’incitation réside dans la possibilité de pouvoir le sortir du chapeau à tout moment, comme un magicien le fait pour faire apparaître un lapin.
La guéguerre déclarée par l’ANPAA a commencé dès 2014. L’association prohibitionniste avait déposé plainte au tribunal de grande instance de Paris le 19 novembre 2014. La cour avait alors statué pour le maintien du visuel. Cependant, pour calmer les pleurs de l’ANPAA, le juge des référés du tribunal a offert le changement du slogan « Au goût de la vie ». Pour se conformer à l’ordonnance du 7 janvier 2015, les nouvelles affiches étaient alors accompagnées du slogan moins incitatif : « Des vins hauts en couleur ». Et comme un enfant qui veut un Power Rangers rouge et pas bleu, l’ANPAA avait alors fait appel…
Pour Alain Rigaud, président de l’ANPAA : « S’élever au-dessus de la grisaille du quotidien, après une journée de boulot, en s’accrochant à un ballon de rouge… On voit bien la métaphore : planez, envoyez-vous en l’air ! Ce visuel nous paraît illustrer l’évasion que procure l’ivresse. ». Une parfait message de prohibition refusant d’accepter la consommation responsable.
L’ANPAA, prête à tout pour la prohibition
La cour d’appel de Paris a statué en faveur de la prohibition. La publicité que je vous détaillais plus haut est désormais officiellement interdite.
Les Côtes du Rhône sont de fieffés incitateurs aux vices et à la luxure !
Défense de jouir… de la vie |
Le site Internet du syndicat des Côtes de Rhône explique la décision pleine de sagesse de la cour. Cette dernière « ordonne la suppression de tout support publicitaire et notamment sur tout support papier et support de communication en ligne, la mise en scène d’un personnage en costume de ville tenant une sacoche dans la main droite, accroché à un ballon de baudruche rouge par la main gauche et s’élevant dans le ciel au-dessus d’une ville grise associée au slogan Côtes du Rhône ».
L’arrêt de la Cour d’Appel
Si effectivement, comme le soutient Inter Rhône, la scène n’est pas réaliste et demeure du domaine de la fiction, ce visuel laisse entendre cependant qu’après une dure journée de travail dans une ambiance grise, il est possible de rêver, de s’échapper du quotidien, de faire une pause comme cet homme avec son ballon, de retrouver un sentiment de gaîté et de légèreté.
Cette publicité qui, comme le premier juge l’a noté, est en fait un dessin non dénué de qualité artistique, ne comporte par ailleurs aucune autre indication que celle de « Côtes du Rhône », de sorte que ce sentiment de gaîté, de liberté, d’évasion est, pour celui qui la regarde, directement associé à la consommation de vin des Côtes du Rhône, étant observé qu’un ballon offert en annexe de la publicité papier est de couleur rouge, avec l’inscription Côtes du Rhône.
Ce premier visuel qui paraît sous une forme animée sur le site www.rayon-boissons.com est manifestement incitatif en suggérant que la consommation de la boisson alcoolique Côtes du Rhône permet d’échapper aux difficultés de la vie quotidienne, et il peut conduire à une consommation excessive pour atteindre le stade de félicité suggéré par le virtuel, lequel dépasse donc ce qui est nécessaire à la promotion du produit et inhérent à la démarche publicitaire proprement dite.
En conséquence pour ce visuel, n’est pas remplie la prescription de l’article L.3323-4 du code de la santé publique relative au caractère objectif et informatif de la publicité : ce visuel est donc illicite.
Cependant, le deuxième visuel de la campagne représentant un homme repeignant sa maison en rouge reste autorisé, la cour d’appel considérant qu’il n’est « pas de nature à inciter à une consommation abusive et excessive d’alcool. ». La prohibition a ses limites !
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