Connaissez-vous les « événements de Montredon » ? Beaux-Vins vous raconte cette manifestation sur fond de crise viticole dans l’Aude en mars 1976.

Nous en parlions quelques jours auparavant dans l’article sur la polémique du vin chilien du Tour de France. Trois cents viticulteurs ont commémoré le dimanche 6 mars les 40 ans du drame de Montredon-des-Corbières (Aude). Le 4 mars 1976, une manifestation a lieu à Montredon sur fond de sévère crise viticole et fit deux morts. Aujourd’hui, le désespoir agricole est toujours d’actualité, même s’il concerne désormais plus l’élevage que la viticulture.

Les événements de Montredon

L’histoire commence en 1970 avec la dérèglementation européenne. Elle ouvre les frontières aux vins italiens bon marché : des milliers de vignerons du Languedoc se retrouvent ruinés. Des routes et des ports sont bloqués, des Trésors publics dynamités. « La guerre du vin » fait la une des journaux.

Le 3 mars 1976, deux viticulteurs audois sont arrêtés après une action contre le plus grand importateur de vins italiens. Pour obtenir leur libération, le Comité d’Action Viticole — une sorte de bras armé du syndicalisme — appelle à occuper le pont de Montredon, près de Narbonne. Plusieurs milliers de vignerons s’y retrouvent le 4 mars 1976, bloquant la route et la voie ferrée face aux CRS.

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« Nous étions au bord de l’explosion », se souvient André Cases, qui était alors à la tête du CAV de l’Aude. « Les vignerons avaient amené leur fusil. Nous avions tous fait l’Algérie. Alors des CRS… On en avait vu d’autres », raconte le vigneron, désormais âgé de 79 ans. « Les CRS se sont fait tirer dessus dès qu’ils sont descendus des camions », reconnaît Jacques Mestre, 82 ans, un autre responsable du CAV. Les forces de l’ordre répliquent et une fusillade s’ensuit durant près d’une demi-heure. « On voyait les balles tracer. Un vigneron en a reçu une en plein front. Alors, tout s’est arrêté », se remémore le retraité. Peu après, les manifestants apprendront qu’un autre mort est à déplorer, un commandant de CRS. Les auteurs des coups de feu mortels ne seront jamais retrouvés. Un viticulteur audois, Albert Teisseyre, sera incarcéré pendant 70 jours avant d’être libéré puis amnistié.

Les vignerons incendient des wagons et démontent des voix, avant que la fusillade éclate entre les manifestants armés et les CRS. Une trentaine de personnes seront également blessées. « Il nous faut transmettre à nos jeunes les limites à ne pas franchir », a souligné lors d’un discours Jacques Serre, 66 ans, témoin des affrontements. « C’étaient des vignerons acculés au désespoir dont la seule solution était de manifester ou de se suicider », a-t-il cependant rappelé.

Chaque année depuis, CRS et vignerons se recueillent, à des dates différentes, devant les stèles des deux victimes érigées de part et d’autre du pont de Montredon. Les vignerons de la région se sont rendus sur la stèle d’Émile Pouytes, le viticulteur tué lors des événements, sur laquelle est gravée « Vigneron, souviens-toi ». . Ils ont ensuite marché silencieusement, drapeaux occitans en tête, jusqu’à la stèle érigée en mémoire de Joël Le Goff, le commandant de CRS qui a également perdu la vie lors de la fusillade. Vendredi, les anciens de la compagnie CRS à laquelle appartenait M. Le Goff étaient déjà venus déposer deux gerbes sur les stèles des défunts.

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L’éternel recommencement de Montredon

Les « événements de Montredon », comme on les surnomme, auront mis un coup d’arrêt au mouvement viticole, en poussant certains à croire que c’était le but recherché par les autorités. « Montredon a été voulu par les pouvoirs publics pour arrêter le mouvement. C’était une provocation » accuse Jacques Mestre. Mais si Montredon a tué le mouvement, au moins temporairement, il a sauvé la vigne languedocienne, souligne Frédéric Rouanet, président du Syndicat des vignerons de l’Aude.

« Sans Montredon, il n’y aurait plus de vigne ici. Il y avait un plan de bétonner le Midi. Les anciens de Montredon ont été les premiers à dire attention à l’Europe et ils ne se sont pas trompés », croit M. Rouanet, 32 ans. Car si la viticulture languedocienne s’est depuis relevée, le malaise a gagné d’autres secteurs agricoles.

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PHOTO/AFP ERIC CABANIS

« Les agriculteurs sont au même point aujourd’hui. Ils ont à affronter la même concurrence déloyale. Nous, c’était les vins italiens. Eux, c’est la salade espagnole ou les canards bulgares. C’est un perpétuel recommencement », avertit Jacques Mestre, qui en veut pour preuve « ce qui se passe au Salon de l’agriculture ». « Un président de la République se fait insulter et siffler. C’est incroyable. J’espère qu’il va y avoir des mesures, sinon il va se passer des conneries », avertit Frédéric Rouanet.

« On voit des suicides, des agriculteurs ruinés. Montredon pourrait se répéter aujourd’hui. Les responsables sont les mêmes : le négoce et la haute distribution, des voyous qui veulent faire du profit au détriment du monde agricole », renchérit Jacques Serre, 66 ans, qui était en 1976 un jeune membre du CAV audois. Mais le drame ne « pourrait pas se répéter » à l’identique, avec ses conséquences mortelles, selon lui. « Nous ne sommes plus à la même époque », confirme M. Rouanet. « Ils avaient fait la guerre d’Algérie. Nous, on n’a même pas fait le service militaire ».

« Il faut que les vignerons, les maraîchers, les agriculteurs puissent avoir un revenu décent », a ajouté M. Serre, membre de la FDSEA. « La révolte est parfois le dernier recours quand tout le reste est vain », a jugé Roland Courteau, sénateur PS de l’Aude.

Jean-Nicolas Mouretin

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