Vous connaissez très certainement l’expression « mettre de l’eau dans son vin ». Cette locution fut pour la première fois utilisée en 1640 par Oudin, qui lui donne le sens de « se modérer, se reconnoistre, passer sa colère ». Elle s’applique totalement à un négociant de Bourgogne…

En 1694, selon l’Académie française : « On dit proverbialement qu’un homme a mis de l’eau dans son vin pour dire qu’il a modéré son emportement ». Cette fois-ci, nous retrouvons cette expression appliquée au sens strict. Vous vous souvenez certainement de l’article publié sur Beaux-Vins traitant de la condamnation de la société Vinovalie pour avoir fait du rosé en mélangeant du vin blanc à du vin rouge.

Aujourd’hui, c’est au tour d’un négociant de Morey-Saint-Denis en Côte-d’Or de passer devant le tribunal pour falsification et tromperies sur plusieurs milliers d’hectolitres de vin de table. Le procès en correctionnelle de la SAS Corbet, spécialisée dans le négoce de vins en gros porte sur le mouillage de 1’389 hectolitres de vins et une tromperie sur la qualité de 9’927 autres hectolitres.

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L’UFC Que Choisir s’attaque au dossier…

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Maitre Éric Ruter, l’avocat de l’UFC Que Choisir en Côte-d’Or représente l’intérêt collectif des consommateurs. « Ils sont en bout de chaîne et c’est eux qui vont consommer le vin. Il y a des tromperies, et de multiples infractions qui sont reprochées au prévenu, dont l’ajout d’eau, des mélanges et surtout le produit annoncé n’est pas celui qui est réellement vendu au consommateur. »

… Tandis que l’avocat de la défense le reporte

Le procès initialement de ce négociant de Bourgogne prévu à l’été 2015 avait été renvoyé. Hier, l’avocat de la défense a plaidé la nullité de la procédure tandis qu’un rapport d’expertises non contradictoire a suspendu l’instruction de cette affaire, en causant un dilemme aux magistrats. Selon Maître Michel Desilets « les vins de Bourgogne concernés sont sans Appellation Géographique, c’est-à-dire les anciens vins de table. Il n’y a donc aucun intérêt à faire une quantité plus importante que la nature produit et aucun intérêt à dire que c’est tel cépage ou pas tel cépage. C’est vraiment des vins de France, c’est à dire des vins qui sont issus d’assemblage de différentes régions de France donc je ne vois pas bien le procès qui est fait à la société.

Et l’histoire dans tout ça ? Loin de la Bourgogne…

L’une des accusations porte sur le mouillage du vin par le négociant de Bourgogne. Cette technique consiste à ajouter de l’eau dans le vin.

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Le problème de la falsification du vin commence à se poser avec insistance au début des années 1880, en même temps que s’effondre la production à la suite du phylloxéra. Selon les termes de l’époque, le mouillage – ou adjonction d’eau au vin destiné au commerce – est synonyme de fraude à l’égard tant des consommateurs que du fisc, dans la mesure où l’on importe ou introduit de la campagne en ville des vins à haut degré alcoolique, qu’on mouille par la suite.

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On estime que si la population parisienne consomme au début des années 1880 un peu moins de 5 M. d’hectolitres de vin par an d’après les relevés de l’octroi, sa consommation réelle est d’environ 6 M. d’hectolitres quand on tient compte du mouillage. D’ailleurs, il ne s’agit pas que d’adjonction d’eau : les commerçants de gros, afin de garder la couleur du vin après le mouillage, y ajoutent des colorants d’origine végétale, dérivés de la houille. Mais alors peut-on détecter et donc limiter le mouillage ?

Le problème de cette méthode porte sur la difficulté d’identifier après coup un vin mouillé et que cette opération avait en général lieu à Paris même, après l’octroi, chez le détaillant. Cependant, cette fraude ne comporte aucun danger pour la santé des consommateurs, sauf quand on ajoute des produits chimiques toxiques afin de relever le degré ou de garder la couleur.

Le 26 juillet 1894, une loi interdit enfin le mouillage. L’article 1 de cette loi affirme que « la fabrication industrielle, la circulation et la vente des vins de raisins secs ou autres vins artificiels sont exclus du régime fiscal des vins et soumis à celui de l’alcool », ce qui signifie une fiscalité beaucoup moins avantageuse pour le contrevenant.

En 1905, le sénateur Thévenet, rapporteur d’un projet de loi sur la falsification et les fraudes dans le monde du vin, précise que « la mauvaise foi est la condition d’application de tous les articles de la loi ». La distinction est importante : la tromperie est une fraude sur la désignation du produit, tandis que la falsification est une fraude sur sa composition comme la pratique du mouillage. On ne trompe que si on est de mauvaise foi.

Le 29 juin 1907 est passée une loi tendant à prévenir le mouillage des vins et les abus de sucrage. Selon l’Article 7 de cette loi, les contrevenants sont punis d’une amende de 6000 euros et de la confiscation des boissons, sucres et glucoses saisis. L’amende est doublée dans le cas de fabrication, de circulation ou de détention de vins de sucre ou de vins de marcs en vue de la vente. Dans ce cas, les contrevenants sont, en outre, punis d’une peine de six mois d’emprisonnement ; cette dernière pénalité est doublée en cas de récidive. Les mêmes peines sont applicables aux complices des contrevenants.

Jean-Nicolas Mouretin