J’avoue qu’il a été compliqué de me décider à publier cet article. Tout le monde a son avis sur ce qui se passe dans l’actualité en Syrie actuellement, mais ce n’est pas mon rôle de vous donner le mien. Ici, on parle de vin !
Vous le savez certainement déjà, mais Vinexpo est le plus grand salon des vins et spiritueux et il a eu lieu cet été à Bordeaux. Pour vous donner une petite idée de l’importance de cet évènement, c’est pas moins de 2’400 exposants et presque 49’000 visiteurs ! Pour la première fois, un exposant syrien était présent pour trouver des débouchés à ses vins en dehors de son pays en guerre depuis déjà quatre ans.
Le vin Syrien un art millénaire
Pline l’Ancien parlait déjà au Ier siècle apr. J.-C. d’une montagne de l’actuelle Syrie nommée Mont Bargylus entre les antiques cités d’Antioche et d’Emèse. Cette montagne serait le lieu où l’alphabet, la monnaie et la culture de la vigne auraient été révélés aux hommes il y a 3’000 ans déjà. Les coteaux de Bargylus était un haut lieu de la culture viticole sous l’empire gréco-romain. Les derniers vestiges de croisées et de l’illustre Saladin sont près de la localité actuelle de Deir Touma.
Le renouveau du vin en Syrie
La famille Saadé, une importante et ancienne famille de propriétaires Grecs-orthodoxes en Syrie et au Liban, a perdu leurs terres en 1960 lorsque le régime égyptien de Nasser les a expropriés durant la brève fusion de l’Égypte et la Syrie. Avec l’appui de l’œnologue français Stéphane Derenoncourt, Sandro et son frère Karim ont fondé le Domaine de Bargylus sur le Mont Bargylus, aujourd’hui appelé Jebel Al-Ansariyé. Les deux frères Saadé ont également fondé au Liban le Château Marsyas, un vignoble de 65 hectares dans La Plaine de la Bekaa.
Le Domaine Bargylus en Syrie
Dans cette région hautement instable où de nombreuses entreprises ont été ruinées par le conflit, les Saadé n’ont pas été épargnés par la guerre. En août dernier, des combats ont eu lieu à seulement 500 mètres du vignoble, et des impacts de balles sont encore visibles sur les murs du domaine. Heureusement, cette situation n’a pas duré et le conflit s’est déplacé un peu plus loin.
Le Domaine Bargylus, c’est 12ha de vignes plantées sur des flancs argilo-calcaires à 900 mètres d’altitude. La production est de 45.000 bouteilles de vin par an et l’agence Reuters a souligné le côté paradoxal de cette production et commente : « Alors que la guerre fait rage en Syrie, un domaine sur la côte continue de produire son vin, servi dans les restaurants étoilés Michelin de Londres et Paris ».
Régulièrement, « quelques bombes tombent sur le vignoble. Nous ne savons pas d’où elles viennent, mais il s’agit certainement d’un village proche où se trouvent des extrémistes », explique Sandro Saadé. Les frères ne sont pas sûrs que leurs vignes soient prises délibérément pour cible. « Nous ne devrions pas imaginer le pire », précise Sandro. Karim Saadé doute davantage. « Malheureusement, dans le monde actuel, le pire est toujours possible. La première chose ciblée serait la vigne parce que le vin est interdit par ces personnes », précise-t-il. Ce vin est devenu bien plus qu’un breuvage, c’est un symbole de persévérance et de fierté face à l’adversité, une forme de résistance face à l’extrémisme.
Le vin de ce domaine, aujourd’hui connu pour être le plus dangereux à produire, est aussi compliqué économiquement à vendre. La guerre s’accompagne de difficultés diverses pour le domaine. Il est aujourd’hui très difficile pour eux d’importer les bouteilles et bouchons.
De peur de kidnapping, les deux frères se sont réfugiés au Liban et font confiance au courage des 35 employés qui s’occupent des vignes depuis la création du Domaine. Lorsqu’il est nécessaire de réaliser des tests, l’équipe de travailleurs envoie par taxi les grappes dans de la glace jusqu’à Beyrouth et fait leur briefing par visioconférence. Lorsque le vin est prêt, il voyage pendant 45 jours jusqu’en Belgique pour être entreposé.
Ce transport a un coût, qui varie entre 50 centimes et 1 euro supplémentaire par bouteilles. Mais ce surcoût est pris en charge sur les marges du domaine pour garantir un prix stable aux consommateurs. Au final, le vin est trois fois plus cher à produire que dans des régions comme Bordeaux.
« Le bon vin est à chaque fois une belle symphonie concertante en quatre mouvements, exécutée au rythme des saisons. Ensemble, le sol, le terroir, le climat et les cépages modulent l’œuvre, tandis que le vigneron, en soliste, imprime sa cadence.»
Philippe Margot
Aujourd’hui, la géopolitique joue la dissonance dans cette œuvre musicale.
Parlons du vin rouge produit sur le Domaine Bargylus
Au fil des années, l’esthétique du rouge de Bargylus a évolué. Le premier millésime en 2006, était un assemblage de 1/3 de Cabernet Sauvignon, 1/3 de Syrah et 1/3 de Merlot. Avec le succès bien connu de la Syrah, ils ont décidé de modifier l’assemblage de leur vin. Le Bargylus 2010 est désormais composé de 2/3 de Syrah et 1/3 d’un mélange de Cabernet Sauvignon et de Merlot. Ce vin se caractérise par un caractère très méditerranéen. Avec le temps, la Syrah oublie ses arômes de fruits noirs et de poivre pour développer des arômes floraux avec une note de pivoine. L’équilibre en bouche semble accompli avec du fruité et des tanins ronds et élégants.
Le vin blanc est un assemblage de Chardonnay et de Sauvignon blanc est bien équilibré avec une amertume maitrisée et avec une bonne longueur. Avec des parfums de pêche blanche et de fruits de la passion, ce vin montre des notes beurrées assez discrètes.
Les vins de Bargylus se vendent à 28 € pour les blancs et 36 € pour les rouges.
Jean-Nicolas Mouretin
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