S’il y a bien un nom qui occupe l’esprit et les nuits des amoureux du vin, c’est bien celui du domaine de la Romanée-Conti. Alors quand une vente aux enchères de bouteilles anciennes de ce domaine de renom est annoncée, les gens s’affolent. Revenons sur cette vente aux enchères historiques… et problématiques.
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Une vente aux enchères qui s’annonçait exceptionnelle
D’après l’article de Drink Business, ces bouteilles parfaitement conservées depuis 15 ans à Genève appartenaient à un investisseur anonyme qui a décidé de vendre sa collection de 1’407 bouteilles du prestigieux cru bourguignon du domaine de la Romanée-Conti. Les 266 lots du Domaine de la Romanée-Conti représentent sept grands crus produits entre 1952 et 2011 : Romanée-Conti, La Tâche, Richebourg, Romanée-Saint-Vivant, Grands Echezeaux, Echézeaux et Montrachet.
Pour le directeur de la maison d’enchères Bahera Wines, le français Michael Ganne, cette collection est tout simplement « unique » et « historique ». Il précise que normalement les maisons de vente aux enchères proposent seulement des dizaines, voire une centaine de bouteilles du Domaine de la Romanée-Conti.
Pour accompagner les enchères des vins de la Romanée-Conti, Baghera Wines a aussi proposé 3’000 bouteilles des grands crus de Bordeaux, dont 1 bouteille d’Yquem 1848 et 12 bouteilles de Petrus 1982, ainsi que des lots de Champagne millésimés et des cigares cubains. Les estimations par lot étaient de 1’445 € pour une bouteille de La Tâche 1966, entre 108’000 et 180’600 € pour 12 bouteilles de Romanée-Conti 1988. L’ensemble de la vente devait atteindre entre cinq et huit millions d’euros !
« Tout ce qui est rare est cher »
Les vins de la Romanée-Conti sont parmi les plus chers au monde pour deux raisons simples : une grande qualité et rareté. Ce petit domaine de seulement une trentaine d’hectares possède qu’un seul hectare destiné au Grand Cru de la Romanée-Conti. Chaque année, seulement 200 bouteilles sont produites pour plus de 100’000 personnes en liste d’attente pour se payer le plaisir d’une bouteille.
Pour Michael Ganne, cette vente aux enchères de vins d’exception est « la plus importante de ces deux dernières décennies en Europe continentale ». Il précise toutefois que le marché est moins porteur qu’il y a quelques années du fait d’incertitudes économiques et de la politique anti-corruption en Chine.
Six bouteilles de la Romanée-Conti retirées de la vente
Six bouteilles de la Roméanée-Conti ont été retirées de la vente aux enchères du 22 mai, après des suspicions de contrefaçon. Un expert américain de la fraude de vin a remis en cause l’authenticité de ces bouteilles.
À la dernière minute, les six bouteilles ont été retirées de la vente. Le reste de la vente des 1’407 bouteilles c’est procédé comme prévu. La maison de vente aux enchères Bagheera Wines, a déclaré qu’ils allaient vérifier « de toute urgence » l’authenticité de toutes les bouteilles mises en vente.
« Nous prenons très au sérieux la protection de l’intérêt de nos clients », a déclaré Michael Ganne, directeur de Bagheera. « Je suis sûr que la majorité écrasante des lots proposés se révélera être authentique. En cas de doute, la vente sera annulée ». M. Ganne a précisé qu’il avait ordonné le retrait immédiat de « cinq ou six lots » en raison des allégations faites sur le site Wineberserkers.com.
Malgré les doutes, la vente aux enchères a tout de même eu lieu et a dépassé les cinq millions d’euros, sensiblement au-dessus de l’estimation. Les suspicions de contrefaçon ont été faites par l’avocat et expert en vin de bourgogne Don Cornwell, vivant à Los Angeles. Il est décrit comme le « pire cauchemar des fraudeurs de vin ». M. Cornwell s’est fait connaitre pour différentes actions en justice sur des ventes aux enchères de grands vins au cours des dernières années.
Dans un long poste très détaillé sur le site Wine Berserkers, il a annoncé que « de nombreux lots » dans la vente étaient « une contrefaçon pure et simple, soit très discutable ». Dans son article, l’auteur dénonce 19 lots devant être retirés et 30 à 40 lots suspicieux, photographies à l’appui. Il demandait le retrait des premiers et une expertise indépendante soit faite sur les autres : étiquettes suspectes, mauvaises capsules, mauvaises gravures sur le verre de la bouteille ou encore mauvaises protections… Tout y passe.
Parlant d’une bouteille du millésime 1978 estimée à plus de 13’000 €, il a déclaré que « le verre de la bouteille était gravé… Cela m’a immédiatement fait penser que cette bouteille est fausse, car aucune bouteille du Domaine de la Romanée Conti du millésime 1978 n’était gravée. Le seul millésime avec une bouteille gravé était le millésime 1974 ».
« Alors, évidemment, quelqu’un a pris des bouteilles de la Romanée-Conti de 1974 pour les transformer en des bouteilles de la Romanée-Conti de 1978. »
Depuis quelques années, le marché du vin est sujet à de l’investissement de spéculation. Plutôt que d’acheter de bonnes bouteilles pour les savourer, les investisseurs spéculent désormais sur le prix et leur évolution. Cette tendance en a fait émerger une autre : la contrefaçon. Les contrefacteurs tentent de faire fortune en copiant l’étiquette ou de placer une étiquette authentique sur une bouteille de vin de moindre qualité. La Romanée-Conti n’a pas échappé à la règle.
Dans sa longue contestation, M. Cornwell a déclaré être convaincu que les « vins du domaine de la Romanée-Conti […] ne proviennent pas d’un collectionneur privé suisse, mais plutôt d’un fonds d’investissements en vin luxembourgeois connu sous le nom de Nobles Crus » liquidé en 2012. Selon lui, après la liquidation de la société, de nombreuses bouteilles étaient offertes à d’autres maisons de ventes qui les avaient refusées à cause de leur provenance douteuse.
Interrogé sur ces allégations, M. Ganne de Bagheera Wines a déclaré « Je ne veux pas entrer dans la polémique. Nous menons une enquête et nous aurons une réponse complète à toutes ces allégations prochainement. Si un lot est prouvé comme douteux, sa vente ne sera pas maintenue ».
Le jeu des onze erreurs de la contrefaçon du Petrus
Vous allez pouvoir vous amuser un petit peu avec cette photographie de deux magnums de Petrus du millésime 1961. Celle de gauche était proposée aux enchères tandis que celle de droite est une vraie bouteille du Château Petrus. Saurez-vous reconnaître toutes les différences ?
Vous pensez avoir trouvé toutes les erreurs ? Voici donc la liste de ce qu’il fallait trouver.
La capsule est contrefaite :
- la capsule rouge est de la mauvaise couleur. La capsule sur le magnum Baghera est rouge primaire par opposition à la pomme de sucrerie de couleur rouge brillant utilisé par Petrus.
- De plus, l’information « Mis en bouteille au château » aurait dû être sur deux lignes imprimées dans une police beaucoup plus petite.
L’étiquette présente plusieurs erreurs :
- Il manque les mots « Cru Exceptionnel » indiqués normalement au milieu de l’étiquette des magnums du château Petrus en 1961.
- Le texte de l’étiquette contrefaite apparaît dans un ordre différent par rapport à l’original. Ce texte était utilisé sur les bouteilles de 75 cl et non les magnums. Le contrefacteur a soit copié l’étiquette d’une bouteille de 75 cl, soit collé la vraie étiquette d’une bouteille de 75 lacl de Petrus 1961 sur le magnum.
- L’étiquette de la bouteille de gauche est plus petite. Les étiquettes destinées au magnum de 1961 couvrent presque complètement la partie visible du verre de droite à gauche.
- Le mot Petrus de la fausse bouteille ne présente pas le même niveau de détails du lettrage typique en couches-ombre.
- Les détails sur les vignes de chaque côté de l’étiquette sont obscurcis, comme si l’étiquette était photocopiée.
- Dans le coin gauche de la fausse étiquette, il est écrit 1,48 en gras et encre noire. Cette partie est plus sombre que le reste de l’étiquette, ce qui suggère que ce nombre a été ajouté sur l’étiquette.
- Ce 1,48 ne figure pas sur les étiquettes des magnums Petrus authentiques.
- Ce 1,48 — comprendre ici 148 cl — ne correspond pas à la quantité indiquée sur le relief de la bouteille qui indique 150 cl.
- Enfin, la fausse étiquette est extrêmement ridée comme si c’était un enfant âgé de quatre ans qui l’avait collée.
Jean-Nicolas Mouretin
À lire aussi en anglais sur le net :
- L’article complet de Dorn Cornwell (en anglais)
- La contrefaçon fait perdre 1,3 milliard d’euros à l’économie européenne
- Rudy Kurniawan : le plus grand faussaire de vin
- Vin: la Chine reconnaît 45 appellations bordelaises
- De nombreuses irrégularités dans le monde du vin
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